33.

Le conseil de famille débuta à 1 heure dans la salle à manger. Les infirmières avaient promis de prévenir Michael au moindre changement. L’éclairage électrique était inutile à cette heure de la journée. Un flot de lumière traversait les portes-fenêtres, orientées plein sud, et même celle donnant sur la rue, exposée au nord. Les fresques murales de Riverbend révélaient bien plus de détails qu’à la lumière du lustre. Une fontaine à café en argent fin étincelait sur le buffet.

La famille s’assit autour de la table ovale, dans un silence gênant, et le médecin prit la parole.

— Rowan est dans un état stable. Elle absorbe bien son régime liquide. Sa circulation sanguine est bonne. Son cœur résiste parfaitement. La guérison est improbable. Mais Michael souhaite que nous agissions comme si Rowan allait se remettre, que nous lassions tout ce qui est en notre pouvoir pour la stimuler et qu’elle ait tout le confort possible. Cela signifie de la musique, peut-être des films, ou la télévision, la radio et des conversations calmes. On fera faire des exercices quotidiens sur ses bras et ses jambes. Ses cheveux seront soignés et coiffés. Ses ongles seront manucurés. On prendra soin d’elle comme si elle était consciente.

— Mais elle pourrait se réveiller, s’exclama Michael. Cela pourrait se produire !

— Oui, dit le médecin. C’est possible mais peu probable.

Néanmoins, tout le monde était d’accord. Il fallait tout faire pour elle. Cecilia et Lily exprimèrent leur soulagement. Elles s’étaient senties plutôt désespérées après la longue nuit passée auprès du lit. Béatrice dit que Rowan percevait certainement tout cet amour et cette attention à son égard. Michael expliqua qu’il ignorait quel genre de musique aimait Rowan et demanda si quelqu’un le savait.

Le médecin n’en avait pas terminé.

— Nous allons poursuivre l’alimentation par perfusion tant que le corps sera capable de la métaboliser. Mais il se peut qu’à un moment il ne le puisse plus, que nous ayons des problèmes avec le foie et les reins. Mais nous n’en sommes pas là. Pour l’instant, Rowan reçoit un régime équilibré. L’infirmière certifie que, ce matin, elle a avalé un peu de liquide avec une paille. Nous allons continuer à le lui proposer. Mais, sauf possibilité réelle de la nourrir de cette façon, ce dont je doute, nous continuerons la perfusion.

Tout le monde acquiesça.

— Elle n’a absorbé qu’une goutte ou deux, précisa Lily. Elle a tété comme les bébés le font instinctivement.

— C’est une voie dans laquelle il faut poursuivre ! s’écria Mona. Si ça se trouve, elle apprécie le goût de la nourriture.

— Oui, ça la changerait du goutte-à-goutte, dit Pierce. Nous pouvons tenter, de temps à autre, de…

Le médecin hocha la tête d’un air apaisant et réclama l’attention.

— Si le cœur de Rowan s’arrête, nous n’essaierons pas de la ressusciter par des moyens artificiels. On ne lui fera aucune injection et on ne lui administrera pas d’oxygène. De toute façon, il n’y a pas de respirateur artificiel ici. On la laissera mourir selon la volonté de Dieu. Bien. Puisque vous m’avez posé la question, je vais vous répondre franchement. Cette situation peut s’éterniser. De la même façon qu’elle peut s’interrompre à tout moment. Des patients dans le même cas qu’elle ont survécu des années. Quelques-uns ont repris connaissance, certes. Mais ce sont des cas rares. Tout ce que nous pouvons dire, pour l’instant, c’est que le corps de Rowan se remet de ses blessures et de sa malnutrition. Mais le cerveau… Pour le cerveau, c’est totalement différent…

Le médecin donna quelques poignées de main, reçut des remerciements et se dirigea vers la porte.

Ryan s’assit en bout de table. Il avait l’air un peu plus reposé que la veille et semblait impatient de faire le point.

Toujours aucune nouvelle du kidnappeur ou du geôlier de Rowan. Aucune autre femme Mayfair n’avait été attaquée. La décision avait été prise d’informer les autorités de l’existence de l’« homme » mais sans leur donner trop de précisions.

— Nous avons fait dessiner un portrait-robot que Michael a approuvé. Nous avons ajouté les cheveux, la moustache et la barbe décrits par les témoins. Nous avons demandé un avis de recherche dans tous les États. Mais personne, je dis bien personne, dans cette pièce, ne doit parler de cette affaire en dehors de la famille. Personne ne doit divulguer plus d’informations que nécessaire aux agences qui collaborent avec nous.

— On ne pourrait que gêner l’enquête si on commençait à raconter des histoires de démons et de fantômes, précisa Randall.

— Nous avons affaire à un homme, dit Ryan. Un homme qui marche, parle et s’habille comme n’importe quel autre. Tout semble prouver qu’il a enlevé Rowan et l’a retenue prisonnière. Nous n’avons pas besoin de communiquer aux autorités les échantillons en notre possession.

— En d’autres termes, nous gardons secrets les résultats sanguins, dit Mona.

— Exactement, dit Ryan. Lorsque nous aurons mis la main sur cet homme, nous pourrons divulguer plus de détails sur cette affaire. Et l’homme lui-même sera la preuve vivante de ce que nous avançons. Bien. Aaron a deux ou trois choses à vous dire.

Visiblement, cela ne faisait pas plaisir à Aaron. Il n’avait pas prononcé un mot depuis le début, assis à côté de Béatrice qui avait posé une main protectrice sur son bras. Il était vêtu de bleu foncé, comme le reste de la famille, et semblait avoir renoncé à ses vêtements de tweed. Il faisait plus méridional qu’anglais, songea Michael. Aaron hocha la tête, comme pour apprécier la situation en silence.

— Ce que j’ai à dire ne vous surprendra pas. J’ai rompu tout lien avec le Talamasca. Des membres de notre ordre ont manifestement commis des actes trompant la confiance de la famille. Je vous demande à tous de considérer désormais le Talamasca comme un adversaire et de ne plus coopérer avec tout individu qui se réclamerait de lui.

— Comme c’est intéressant, persifla Fielding.

Il n’avait pas encore parlé depuis le début et sa voix, comme d’habitude, attira sur lui une attention immédiate. Son costume marron aux fines rayures roses semblait aussi vieux que lui. Il disposait du privilège réservé aux très vieilles personnes : dire exactement ce qu’il pensait.

— Vous avez conscience, dit-il en s’adressant à Aaron, que tout cela a commencé à cause de vous ?

— Ce n’est pas vrai, dit calmement Aaron.

— Oh que si ! Vous étiez en contact avec Deirdre Mayfair lorsqu’elle était enceinte de Rowan. Vous avez…

— C’est absurde, coupa Lauren. Es-tu en train de nous dire qu’Aaron Lightner est responsable des événements qu’il s’est contenté de rapporter ? Dieu du ciel ! Tu ne te souviens donc pas de ce que tu as vu et entendu par toi-même ?

Ryan les interrompit :

— Carlotta a mené une enquête complète sur le Talamasca dans les années 1950. Et je vous garantis qu’elle ne lui a pas fait de cadeau. Elle a cherché tous les moyens juridiques possibles pour attaquer cette organisation et n’en a trouvé aucun. En résumé, il n’y a jamais eu de conspiration du Talamasca contre nous.

Lauren reprit la parole en faisant taire immédiatement les voix qui tentaient de se faire entendre.

— Nous n’avons rien à gagner à poursuivre sur cette voie. Nous avons deux tâches à remplir : prendre soin de Rowan et retrouver cet homme. Un point c’est tout.

Elle regarda les autres, l’un après l’autre, d’abord sur sa droite, puis sur sa gauche, en face d’elle, et termina par Aaron. Elle reprit :

— Les archives du Talamasca nous ont été d’une aide précieuse pour retracer l’histoire de notre famille. Tout ce qui pouvait être vérifié l’a été. Nous n’avons trouvé aucune contradiction ni aucun élément étrange.

— Mais qu’est-ce que ça veut dire ? explosa Randall. Comment prétends-tu vérifier des absurdités comme… ?

— Tous les faits historiques relatés ont été contrôlés. La toile que Rembrandt a peinte de Deborah a été authentifiée. Les archives concernant le Hollandais Petyr Van Abel, qui sont conservées à Amsterdam, ont été photocopiées pour nos archives personnelles. Mais je n’ai pas l’intention de me lancer dans une grande plaidoirie en faveur de ces documents ou du Talamasca. Cette organisation a pleinement collaboré avec nous pendant la disparition de Rowan. C’est elle qui a enquêté sur la visite de Rowan et Lasher à Donnelaith.

C’est elle qui nous a communiqué la description physique la plus précise de cet homme. Nos détectives n’ont fait que confirmer. Aucun autre organisme, qu’il soit séculier, religieux ou juridique, ne nous aurait apporté ce type d’aide. Néanmoins… Aaron nous a demandé de rompre tout contact avec le Talamasca, et à juste titre. Et c’est ce que nous ferons.

Tout le monde se mit à parler en même temps. Lily réclamait des détails sur le départ d’Aaron de l’ordre. Cecilia rappela à tous qu’un homme du Talamasca posait des questions à tout le voisinage. Anne-Marie demanda des « éclaircissements sur un ou deux points ».

Lauren fit taire tout le monde.

— Le Talamasca a confisqué des informations d’ordre médical. Il refuse de nous communiquer les derniers renseignements qu’il a obtenus. Il s’est coupé de nous, comme Aaron vous l’expliquerait si vous le laissiez s’exprimer. Mais, pour l’instant, nous devons aller de l’avant. C’est aussi simple que ça. Toute mention de l’ordre doit être rapportée au bureau, nous ne devons répondre à aucune question et nous conformer à toutes les mesures de sécurité.

Elle se pencha en avant et baissa la voix pour fixer l’attention de tous :

— Resserrez les rangs !

Un silence pénible tomba.

— Michael, qu’avez-vous à dire ? demanda Lauren.

La question le prit de court. Il avait observé les débats d’un regard détaché, comme s’il s’était agi d’un match de base-ball ou d’une partie d’échecs. Son esprit avait dérivé vers les souvenirs de Julien. Ses paroles. Il devait à tout prix cacher ses pensées. Parler franchement ne servirait à rien. Néanmoins, il parla en toute sérénité.

— Quels que soient le moment et l’endroit, j’éliminerai cet homme. Personne ne pourra m’en empêcher.

Randall commença à dire quelque chose, et Fielding aussi. Michael leva la main.

— Je veux retourner auprès de ma femme. Je veux qu’elle guérisse. J’ai envie d’être avec elle.

— Nous en avons presque terminé, dit Ryan.

Il ouvrit son grand porte-documents de cuir et en sortit des feuilles de papier dactylographiées.

— On n’a retrouvé aucune trace de sang ou de tissu à Saint Martinville, dans la zone où Rowan a été découverte inconsciente. Si elle a fait une fausse couche, comme le pensent les médecins, les preuves sont effacées depuis longtemps. Cette zone est publique et il y a eu au moins deux orages pendant que Rowan était là-bas, plus un autre après sa découverte. Nous avons envoyé deux détectives chevronnés sur les lieux. Mais, jusqu’à présent, nous n’avons aucun indice valable. Nous passons toute la région au peigne fin pour retrouver quelqu’un qui l’aurait vue ou entendue ou aurait été témoin d’un incident qui nous mettrait sur une piste.

Il y eut quelques hochements de tête résignés.

— Michael, nous allons maintenant terminer cette réunion au bureau. C’est au sujet de Mona et de l’héritage. Nous vous laissons ici avec Aaron et reviendrons plus tard dans la soirée, si vous le permettez.

— Bien entendu, répondit Michael. Je suis bien ici. Nous avons mis au point un système de roulement. Hamilton est en haut avec les infirmières. Les choses vont aussi bien que possible, vu les circonstances.

— Michael, dit Lauren. C’est une question délicate, mais… je dois la poser. Savez-vous où se trouve l’émeraude Mayfair ?

— Oh, pour l’amour de Dieu ! s’écria Béatrice. Ce maudit caillou !

— C’est un problème juridique, dit froidement Lauren. Nous devons trouver l’émeraude et la placer autour du cou de l’héritière.

— J’ignore où elle se trouve, répondit Michael. Je crois que vous m’avez déjà posé la question quand j’étais malade, à l’hôpital. Je ne l’ai pas vue. Et je crois que vous avez fouillé la maison.

— Effectivement, intervint Ryan. Nous pensions avoir peut-être mal cherché.

— C’est probablement lui qui l’a, dit Mona.

Personne ne répondit.

— C’est possible, dit Michael en réprimant un sourire. Il l’a probablement. Il a dû considérer qu’elle lui appartenait. Allez savoir !

Il ne voulait pas avoir l’air cinglé, mais la situation lui parut tout à coup comique. L’émeraude ! Lasher l’avait-il dans sa poche ? Allait-il essayer de la vendre ? Ce serait trop drôle.

La réunion était manifestement achevée. Béa retournait à Amelia Street et les autres allaient en ville.

Mona jeta ses bras autour de Michael, l’embrassa et disparut comme si elle ne voulait pas qu’on voie son regard inquiet ou réprobateur. Michael était un peu étonné. L’espace d’une seconde, il avait ressenti toute la gentillesse dont Mona était capable et puis, d’un seul coup, il n’y avait plus que le vide à l’endroit où elle s’était trouvée.

Béatrice lui donna un baiser pressé puis dit au revoir à son époux.

Un instant plus tard, tout le monde était parti. La lourde porte s’était refermée une énième fois, dans un bruit qui avait résonné dans toute la maison.

Aaron était toujours en bout de table, en face de Michael, appuyé sur ses coudes, le dos tourné aux fenêtres.

— Je suis heureux pour Béa et vous, dit Michael. Vous avez reçu le poème ?

— Oui, Yuri me l’a remis. Parlez-moi de Julien. Dites-moi ce qui s’est passé en me considérant non pas comme un espion venu d’outre-Atlantique mais comme votre ami. S’il vous plaît.

Michael sourit.

— Je vais tout vous raconter. Je veux en revivre chaque seconde. J’ai griffonné quelques notes à ce sujet, pour ne pas oublier. En fait, Julien n’avait qu’une chose en tête. Il m’est apparu pour me dire de tuer cette créature, de l’arrêter. Et qu’on comptait sur moi pour le faire.

Aaron parut intrigué.

— Où est votre ami Yuri ? demanda Michael. Vous êtes toujours en bons termes, n’est-ce pas ?

— Oh oui ! Il est retourné dans la maison d’Amelia Street. Il voulait essayer de nouveau avec l’ordinateur de Mona. Elle a dit qu’il pouvait s’en servir pour contacter les Aînés. Mais les Aînés ne répondent pas à ses demandes d’explications. Tout cela est très pénible pour lui.

— Pas pour vous ?

Aaron resta pensif un moment, puis dit :

— Non… pas tant que ça.

— Bien. Julien se méfiait du Talamasca. Je crois que mon message était clair à ce sujet. Julien m’en aurait bien dit plus long… mais il revenait toujours à la même chose : la créature est trompeuse et doit être détruite. Je la tuerai dès que j’en aurai l’occasion.

Aaron semblait fasciné.

— Et si vous vous contentiez de la maîtriser ? Si vous réussissiez à la coincer dans un endroit d’où…

— Non. Ce serait une erreur. Relisez le poème. Je dois la tuer. Montez jeter un coup d’œil sur ma femme, si vous avez des doutes. Tenez sa main. Je le tuerai. Et j’en aurai l’occasion. Le poème d’Évelyne et la visite de Julien me l’ont promis.

— Vous me faites penser à un homme qui vient de faire une conversion religieuse. Il y a une semaine, vous abordiez le problème avec philosophie. C’était presque désespérant. En fait, vous étiez physiquement malade.

— Eh bien, je croyais que ma femme m’avait abandonné. Je pleurais sur mon épouse et sur mon propre courage, que j’avais perdus tous les deux. Aujourd’hui, je sais qu’elle ne voulait pas m’abandonner. Et pourquoi ne serais-je pas comme saint Paul après sa vision sur la route de Damas ? Vous rendez-vous compte que je suis le seul être vivant à l’avoir vu et à lui avoir parlé ? Gifford, Édith, Alicia et les autres, dont je ne me rappelle même pas les prénoms. Toutes mortes. Et Rowan muette, tout comme Deirdre. Moi, je ne suis pas mort. Je ne suis pas muet. Je sais à quoi il ressemble. Je connais le son de sa voix. Je suis celui à qui Julien est apparu. Effectivement, j’ai la conviction d’un converti. Ou, peut-être, juste la conviction d’un saint.

Il glissa sa main dans sa poche et en sortit la médaille que Ryan lui avait rendue, celle que Gifford avait trouvée le jour de Noël près de la piscine.

— C’est vous qui me l’avez donnée, vous vous rappelez ? reprit-il. Qu’est-ce qui se passe lorsque saint Michel plante son trident dans un démon ? Est-ce qu’il se débat en appelant sa mère ? Ce doit être difficile d’être saint Michel. Cette fois, je trouverai.

— Julien était donc son ennemi ? Vous en êtes certain ?

Michael soupira. Il devait monter.

— Que feraient les infirmières si je m’allongeais dans le lit à côté d’elle ? Que feraient-elles si je me blottissais contre elle et la prenais dans mes bras ?

— Vous êtes ici chez vous, répondit Aaron. Allongez-vous à côté d’elle si vous en avez envie. Dites à tout le monde de rester dehors, derrière la porte.

Michael secoua la tête.

— Si seulement je savais si elle me veut auprès d’elle. Si seulement je savais ce qu’elle veut.

Il réfléchit un long moment.

— Aaron, si vous étiez à sa place, celle de Lasher, où seriez-vous en ce moment ? Que feriez-vous ?

Aaron hocha la tête.

— Je ne sais vraiment pas. Michael, dites-moi pourquoi Julien était convaincu que Lasher est un être malfaisant. Dites-moi ce qu’il savait.

— Julien a fait des recherches sur ses origines. Il est allé à Donnelaith pour fouiller les ruines. Ce n’était pas tant le fameux cercle de pierres qui l’intéressait, mais la cathédrale. Et un saint du nom de Ashlar. Un saint des Highlands des temps anciens. La créature avait quelque chose à voir avec l’époque chrétienne de ce vallon. Quelque chose à voir avec ce saint.

— Ashlar, j’ai déjà entendu l’histoire de saint Ashlar, dit tranquillement Aaron. C’est dans les dossiers en latin des archives. Je me rappelle l’avoir lue mais pas dans le cadre de cette affaire. Si seulement ils n’empêchaient pas Yuri d’entrer dans les archives informatiques ! Mais qu’est-ce que Lasher a à voir avec ce saint ?

— Julien ne l’a jamais vraiment su. Il a d’abord pensé que la créature était le fantôme vengeur du saint. Mais c’était plus compliqué. Toutefois, la créature est bien originaire de cet endroit. Elle n’est pas venue du ciel ou de l’enfer et n’a pas toujours existe, contrairement aux mensonges qu’elle a racontés à toutes les sorcières. Elle a commencé son noir destin dans le vallon de Donnelaith. Que savez-vous d’Ashlar ?

— C’est une vieille légende écossaise, expliqua Aaron. Tout à fait païenne, en réalité. Michael, pourquoi ne pas m’avoir raconté tout ça ?

— C’est ce que je suis en train de faire, Aaron. Mais peu importe. Je vais le tuer. Et nous essaierons de reconstituer son passé une fois qu’il sera mort. Alors, que savez-vous d’Ashlar, le saint écossais ?

— C’est un saint qui revient tous les quelques siècles. On en parle dans certains livres. Mais j’ignorais qu’il avait un rapport avec Donnelaith. Voilà un autre mystère. Pourquoi n’était-il pas mentionné dans le dossier ? Pourtant, nous faisons tous les recoupements possibles. Nous sommes très méticuleux. Je n’ai jamais lu aucune référence à des légendes se rapportant à Donnelaith.

— Que savez-vous à ce sujet ?

— Le saint avait des caractéristiques physiques très particulières. De temps en temps, quelqu’un naissait avec ces mêmes particularités et on le considérait comme la réincarnation du saint. Le nouveau saint. Mais c’était très païen, pas catholique du tout. Pour l’Église catholique, un saint est au ciel, il ne se réincarne pas.

Michael acquiesça et émit un petit rire.

— Pouvez-vous écrire tout ce que Julien vous a dit ? demanda Aaron. Il le faut.

— Je le ferai, mais n’oubliez pas ce que j’ai dit. Julien n’avait qu’un seul et unique message. Je dois tuer la créature. Non pas m’y intéresser mais l’éliminer. J’aurais dû le faire à Noël. J’aurais pu mais, bien entendu, Rowan ne voulait pas. Comment aurait-elle pu le vouloir ? Ce nouveau-né, ce mystère vivant. Il s’y est toujours pris comme ça, en séduisant les gens. Et maintenant, il est de chair. C’est comme dans la Bible : « Le Verbe s’est fait chair, s’est incarné. »

Aaron hocha la tête.

— Il faut que je vous dise quelque chose que je ne cesse de ressasser dans mon cœur et mon esprit, dit-il. J’aurais dû vous accompagner ici la veille de Noël. Je n’aurais jamais dû vous laisser seul face à lui, et à elle. Je m’en veux énormément.

— Ne condamnez pas Rowan.

— Non, ce n’est pas ce que je veux dire. J’aurais simplement dû être là. Et sachez que, cette fois, je ne vous abandonnerai pas.

— Merci.

 

Il était 8 heures. Il faisait sombre, froid. On sentait le froid en posant les mains sur les vitres.

Aaron était rentré avec Yuri pour le dîner. Puis Yuri était retourné à Amelia Street pour discuter avec Mona. Il avait rougi en l’annonçant à ses amis. Michael comprit pourquoi. Mona plaisait à Yuri. Et puis Yuri avait balbutié :

— Elle me fait penser à moi quand j’avais son âge. Elle est… spéciale. Elle a dit qu’elle me montrerait tout ce qu’on pouvait faire avec son ordinateur. Nous allons… discuter.

Bégaiement, balbutiement, rougissement. Ah, le pouvoir de Mona ! se dit Michael. Et maintenant, elle devait faire face à l’héritage, en plus de tout le reste.

Il y avait quelque chose de pur en Yuri, de pur, de loyal et de bon.

— On peut lui faire confiance, avait dit Aaron. C’est un gentleman. Mona sera en sécurité en sa compagnie. Ne vous faites aucun souci.

— Personne ne se fait de souci pour Mona, avait répliqué Michael.

Il se sentait un peu honteux. Il se rappelait quelques-uns des moments sensuels qu’ils avaient passés ensemble. Quand il l’avait prise dans ses bras tout en sachant pertinemment ce qui allait se passer.

Ce n’était pas la première fois dans sa vie qu’il faisait quelque chose de mal en se disant : Et alors ?

Aaron était monté se reposer.

— À mon âge, on a besoin d’une petite sieste après les repas, s’était-il excusé.

Il était épuisé et Michael avait renoncé pour l’instant à parler encore de Julien. Il valait mieux que son ami se repose.

Juste toi et moi, Julien, s’était-il dit.

La maison était très calme.

Hamilton était rentré chez lui pour régler quelques factures. Béa reviendrait plus tard. Il n’y avait qu’une infirmière de service car la profession souffrait de pénurie et tout l’or du monde n’y aurait rien changé. Une aide-infirmière très compétente était en haut, dans la chambre de tante Vivian, et entamait son troisième quart d’heure au téléphone.

Il entendait sa voix monter et baisser.

Debout dans le salon, il regardait dehors, vers la cour latérale. Obscurité. Froid. Souvenirs. Les tambours du défilé. Un homme souriant dans l’obscurité. Soudain, il se revit enfant, ignorant la force et le courage. La peur l’avait ramené aux portes de l’enfance.

Le mouvement des arbres sombres, dehors, le réfrigérait. Cette vision était glaçante. Il n’avait pas envie d’être là à regarder la cour froide et vide, dehors. Il avait envie d’avoir chaud et d’être auprès d’elle.

Il fit demi-tour, traversa lentement le double salon et passa sous l’arche en bois de cyprès.

Silence. Le silence l’entourait de toutes parts.

Il n’y avait absolument personne. Personne dans la salle à manger ni en haut de l’escalier. La lumière de la chambre de tante Vivian était éteinte. Plus personne au téléphone. Le vide, l’obscurité.

Il fallait se rendre à l’évidence : il était complètement seul. Il se dirigea vers la porte d’entrée et l’ouvrit. L’espace d’un instant, il ne comprit pas. Personne à la grille. Personne sous le porche. Personne de l’autre côté de la rue. Juste le silence solennel de Garden District, aussi désert qu’une ville en ruine sous les réverbères immobiles et les branches de chêne. C’était la première fois qu’il n’y avait absolument aucun mouvement dans cette maison.

— Mais où sont-ils passés ? dit-il, pris de panique. Seigneur ! mais qu’est-ce qui se passe ici ?

— Michael Curry ?

Un homme était sur sa gauche. Dans l’ombre, presque invisible, à part ses cheveux blonds. Il avança. Il devait faire au moins cinq centimètres de plus que lui. Michael fixa ses yeux pâles.

— Vous m’avez fait appeler ? demanda l’homme avec respect.

Il tendit une main.

— Je suis désolé, monsieur Curry.

— Fait appeler ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

— Vous m’avez fait appeler à l’hôtel par le prêtre. Vous avez demandé que je vienne. Je suis désolé que tout soit terminé.

— Je ne sais pas de quoi vous parlez. Où sont les gardes ? Où est le type qui nous surveillait, sur le trottoir d’en face ? Où sont tous ces gens ?

— Le prêtre les a renvoyés, dit doucement l’homme. Dès qu’elle est morte. Il me l’a dit au téléphone. Et puis, il m’a demandé de venir vous attendre près de la porte. Je suis désolé, pour votre femme. J’espère qu’elle n’a pas souffert.

— Oh non ! Ce n’est pas vrai ! Elle n’est pas morte. Elle est là-haut. Quel prêtre ? Il n’y a pas de prêtre, ici. Aaron !

Il se retourna et fouilla l’entrée du regard, incapable de distinguer ne serait-ce que le tapis rouge de l’escalier. Puis il se rua en avant, monta l’escalier quatre à quatre et se précipita sur la porte de la chambre fermée.

— Bon sang ! Elle ne peut pas être morte. On m’aurait prévenu.

La poignée de la porte lui résista. Il se prépara à l’enfoncer et cria :

— Aaron !

Cliquètement de l’intérieur. La serrure. La porte s’entrebâilla, comme de son propre gré. Chaque porte a son propre rythme, sa propre façon de s’ouvrir et se fermer. À La Nouvelle-Orléans, les portes sont très capricieuses. En été, celle-ci gonflait et l’on avait du mal à la fermer.

Il regarda à l’intérieur. Lambris blancs. Bougies allumées, comme avant. Scintillements sur le couvre-lit de soie, sur la cheminée de marbre.

Aaron parlait. Il prononça un nom derrière lui. À résonance russe. Et l’homme blond dit doucement :

— Mais il m’a fait appeler, Aaron. C’est le prêtre qui nie l’a dit. Il a réclamé ma présence.

Michael entra dans la pièce. Rowan était étendue sur le lit. Sa poitrine montait et descendait sous le satin rose de sa chemise de nuit propre. Ses mains étaient recroquevillées vers l’intérieur. Sa bouche était ouverte. Il entendait le souffle de sa respiration. Elle était vivante.

Il tomba à genoux près du lit, posa sa tête et fondit en larmes. Il prit sa main froide et la serra, sentant un peu de chaleur humaine. Elle était en vie.

— Oh, Rowan ! Ma chérie, ma chérie. J’ai cru…

Puis il se mit à sangloter comme un enfant.

Il ne fit rien pour retenir ses larmes. Aaron était près de lui. Et l’autre homme aussi. Il leva alors lentement les yeux et distingua une silhouette au pied du lit.

Le prêtre ! Il y pensa instantanément en apercevant la robe de toile noire démodée et le col romain blanc. Mais ce n’était pas un prêtre.

— Salut ! Michael.

Voix douce. Aussi grand qu’ils l’avaient dit. Cheveux noirs et longs tombant sur les épaules. Barbe et moustache soignées et luisantes. Une sorte de Christ ou de Raspoutine au visage blême et baigné de larmes.

— Moi aussi, j’ai pleuré pour elle, dit l’homme dans un murmure. Elle est proche de la mort, maintenant. Elle ne souffrira plus, elle n’aimera plus. Il ne lui restait qu’un peu de lait. Elle est presque partie.

Il se tenait au montant du lit de sa main gauche.

— Lasher !

Cet homme gigantesque lui parut soudain monstrueux. Silhouette fine et parfaite incarnation du danger avec ses yeux bleus fixés sur lui, sa bouche vivante sous la moustache noire, ses doigts blancs, longs et osseux, presque vrillés sur le montant du lit. Monstrueux.

Le tuer. Tout de suite.

Il se releva d’un bond mais Stolov le ceintura.

— Non, Michael. Ne lui faites aucun mal. Vous ne pouvez pas !

Puis un autre homme, un étranger, l’attrapa par le cou. Aaron implora Michael de se calmer et d’attendre.

La silhouette près du lit était toujours immobile, en sécurité. Lasher essuya lentement ses larmes de sa main droite indolente.

— Tout doux, Michael, tout doux, dit Aaron. Stolov, laissez-le. Vous aussi, Norgan. Reculez, Michael, il ne nous échappera pas.

— Seulement s’il renonce à le tuer, dit Stolov. Il ne doit pas le tuer.

— Bien sûr que non, promit Michael.

Il se cabra pour repousser Stolov mais l’autre homme lui serrait trop le cou. Stolov relâcha son étreinte.

La créature le regarda. Des larmes éloquentes continuaient à jaillir de ses yeux.

— Je suis entre vos mains, monsieur Stolov, dit Lasher. Je suis à vous.

Michael envoya un coup de coude dans l’estomac de l’homme derrière lui et le jeta contre le mur. Il repoussa violemment Stolov sur le côté et, en une seconde, fut sur Lasher. Il serra ses mains autour de son cou. Lasher, le souffle bloqué par la terreur, attrapa les cheveux de Michael. Ils roulèrent sur le tapis. Les deux autres se jetèrent sur Michael et se mirent à le tirer en arrière pour le faire lâcher prise, tandis qu’Aaron essayait de détacher ses doigts du cou de Lasher. Aaron, lui aussi, mon Dieu !

Michael fut à deux doigts de perdre connaissance. La douleur dans sa poitrine était vive et poignante. Il la sentit passer dans son épaule et descendre le long de son bras gauche. Les autres l’avaient lâché. Il était assis contre la cheminée, son état l’empêchant de tenter quoi que ce fût. Lasher, essayant toujours de reprendre sa respiration, se remettait péniblement debout. Mince silhouette flottant dans une robe noire trop grande. Les deux hommes se tenaient de part et d’autre de Michael.

— Attendez, Michael ! implora Aaron. Nous sommes quatre contre lui.

— Ne lui faites aucun mal, Michael, dit Stolov de son ton toujours aimable.

— Vous voulez le laisser partir, murmura Michael d’une voix rauque.

En levant les yeux, il vit que l’immense silhouette l’observait, les yeux remplis de larmes, qui coulaient le long de ses joues. Si le Christ venait te voir, se dit Michael, tu aimerais qu’il ressemble à ça. C’était ainsi que les peintres le représentaient.

— Je ne vais pas m’échapper, dit Lasher. Je partirai quand ils m’emmèneront, Michael. Les hommes du Talamasca. J’ai besoin d’eux et ils le savent. Et ils ne te laisseront pas me faire de mal.

Il se tourna vers la forme allongée sur le lit.

— Je suis venu voir ma bien-aimée, reprit-il. Je voulais la voir une dernière fois avant qu’on ne m’emmène.

Michael essaya de se mettre debout. Il avait le vertige et la douleur revint le cisailler. Bon Dieu ! Julien, donnez-moi la force de le faire. Merde ! L’arme ! Elle est près du lit. Sur la table. Il voulut dire à Aaron : Appuyez sur la gâchette et faites-lui un trou dans le front.

Stolov s’agenouilla devant lui.

— Calmez-vous, Michael. Ne tentez plus rien. Nous ne le laisserons pas partir seul. C’est nous qui allons l’emmener.

— Je suis prêt, dit Lasher.

— Michael, dit Stolov. Regardez-le. Il est sans défense. Il est en notre pouvoir. Je vous en prie, gardez votre sang-froid.

Aaron contemplait la créature comme s’il était ensorcelé.

— Je vous ai averti, murmura Michael.

— Tu veux vraiment me tuer ? demanda Lasher, les larmes jaillissant toujours de ses yeux bleus. Tu me hais à ce point ? Juste parce que je voulais devenir vivant ?

— Tu l’as tuée, dit Michael d’un tout petit filet de voix. C’est toi qui l’as mise dans cet état. Et tu as tué notre enfant.

— Veux-tu connaître ma version des faits, père ? dit la créature.

— Je veux te tuer.

— Comment peux-tu être aussi froid et insensible ? Ce que l’on m’a fait ne t’intéresse pas ? Tu ne veux pas savoir pourquoi je suis ici ? Tu crois que je lui voulais du mal ?

Se tenant d’une main au montant de la cheminée et de l’autre à Aaron, Michael réussit à se relever. Il se sentait très faible, proche de la nausée. Respirant lentement, soulagé que la douleur ait disparu, il resta debout à scruter Lasher.

Comme son visage était beau, et sa moustache soyeuse et sa barbe impeccable. Le Jésus du tableau de Durer. Ses yeux d’un bleu limpide reflétaient quelque âme insondable et mystérieuse.

— Oui, Michael, tu veux savoir. Tu veux entendre toute l’histoire. Ils ne te laisseront pas me tuer, n’est-ce pas, messieurs ? Même Aaron ne te laissera pas faire. En tout cas, pas avant que j’aie raconté tout ce que j’ai à dire.

— Mensonges ! murmura Michael.

La créature avala sa salive comme si sa condamnation venait de tomber. Il essuya encore une fois ses larmes avec le dos de sa main droite. Comme le ferait un enfant, dans une cour de récréation. Il pressa ses lèvres l’une contre l’autre et prit une profonde inspiration comme si, de la même façon que Michael peu avant, il allait se mettre à sangloter.

Derrière lui, sur le lit, Rowan était inanimée, les yeux fixés sur le vide, hors d’atteinte.

— Non, Michael, dit Lasher. Ce ne sont pas des mensonges. Je te le promets. Nous savons parfaitement que la vérité n’excuse rien. Mais tu n’entendras pas de mensonges.

 

Encore la salle à manger. Cette fois, la lumière dorée venait de l’éclairage de la cour.

Ils étaient assis autour de la table, dans la pénombre. Les deux portes étaient closes. Lasher était à la place d’honneur, en bout de table. Il avait posé une longue main blanche sur le bois devant lui et l’examinait avec une sorte d’étonnement.

Il leva la tête et jeta un regard circulaire. Il observa les fresques murales comme pour en retenir chaque détail. Il observa les visages des trois hommes, puis celui de Michael, assis sur sa droite.

Clément Norgan n’était toujours pas remis du coup que Michael lui avait porté. Le visage rougi, il était assis de l’autre côté de la table et tentait de reprendre son souffle tout en buvant un verre d’eau. Ses yeux passaient de Lasher à Michael. Stolov était assis à sa gauche.

Aaron était à côté de Michael et lui tenait l’épaule et la main. Michael sentait la pression de ses doigts.

Lasher.

— Oui, dans cette maison, encore une fois, dit Lasher d’une voix sans accent, timide mais profonde, et conscient de l’effet produit par sa beauté.

— Laissez-le parler, demanda Aaron. Nous sommes quatre hommes résolus à ne pas le laisser s’enfuir. Rowan est en sécurité. Laissez-le parler.

— C’est exact, intervint Stolov. Nous sommes ensemble. Laissez-le s’expliquer. Vous avez droit à ces explications, Michael. Personne ne le conteste.

— Vous essayez encore de m’abuser, répondit Michael. Vous avez renvoyé les infirmières et les gardes. Bien joué. Est-ce qu’ils t’ont cru, père Ashlar, ou leur as-tu donné un autre nom ?

Lasher eut un long sourire amer.

— Père Ashlar, marmonna-t-il comme pour lui-même.

Il passa sa langue rose sur ses lèvres puis les ferma doucement. L’espace d’une seconde, Michael lui trouva une ressemblance avec Rowan, comme le jour de Noël. Dans ses joues fines, son front et même le contour de ses yeux. Mais la profonde couleur de ses yeux et son regard étaient ceux de Michael.

— Elle ne sait pas qu’elle est seule, dit Lasher avec solennité.

Il parlait lentement en promenant son regard dans toute la pièce sombre.

— Elle n’a pas besoin d’infirmières. Elle ne sait même plus qui est auprès d’elle, qui pleure pour elle, qui l’aime. Elle a perdu l’enfant qu’elle portait. Et elle n’en aura pas d’autre. Tout ce qui va se passer à partir de maintenant se fera sans elle. Son histoire est achevée.

Michael voulut se lever mais Aaron le retint. Les deux autres le regardèrent. Lasher n’avait pas bronché.

— Et vous voulez nous raconter votre histoire, dit craintivement Stolov, comme s’il avait affaire à un personnage royal ou une apparition. Et nous sommes prêts à vous écouter.

— Oui, je vais tout vous raconter. Je vais vous dire ce que je sais, maintenant que je suis en chair et en os. Je vous donnerai tous les détails. Ensuite, vous pourrez porter un jugement.

Michael eut un petit rire sans gaieté qui déconcerta les autres. Et lui-même. Il ne quittait pas Lasher des yeux.

— D’accord, mon fils, dit-il en français. N’oublie pas ta promesse. Pas de mensonges.

Tout le monde se regarda. La créature reprit une attitude solennelle en grimaçant légèrement, comme si elle avait reçu un coup.

— Michael, je ne peux pas parler de ce que j’étais pendant les siècles de ténèbres. Je ne peux pas parler de la créature désespérée, désincarnée que j’étais, sans histoire ni mémoire ni raison qui, justement, aspirait à raisonner au lieu de souffrir, se lamenter et vouloir.

Michael écarquilla les yeux mais resta muet.

— L’histoire que je vais vous raconter est la mienne, celle que j’ai eue avant que la mort ne me sépare de l’enveloppe charnelle dont je n’ai cessé de rêver par la suite.

Il leva les mains et les croisa un moment sur sa poitrine.

— Au commencement… dit ironiquement Michael.

— Au commencement, répéta Lasher sur un ton de souffrance. Au commencement, bien avant que Suzanne ne m’invoque dans le cercle de pierres… Au commencement, lorsque j’avais la vie, telle que je l’ai à nouveau aujourd’hui.

Silence.

— Faites-nous confiance, chuchota Stolov.

Les yeux de Lasher étaient fixés sur Michael.

— Vous n’imaginez pas, dit-il, combien je suis impatient de vous dire la vérité. Je vous mets au défi, après m’avoir écouté, de ne pas me pardonner.

 

L'heure des Sorcières
titlepage.xhtml
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_024.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_025.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_026.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_027.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_028.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_029.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_030.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_031.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_032.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_033.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_034.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_035.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_036.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_037.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_038.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_039.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_040.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_041.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_042.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_043.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-2]L'heure des Sorcieres(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_044.html